Les histoires vécues d'une femme: briser le silence sur les comportements inappropriés
- Nadine Duguay-Lemay
- 9 mai 2019
- 10 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 mars
Ça fait un bout de temps que je désire écrire au sujet des expériences moins plaisantes que j'ai vécues dans le cadre de ma vie professionnelle en tant que femme oeuvrant en leadership. Soyez avisés d'emblée que ce n'est pas toujours beau ou plaisant! J'ai d'ailleurs beaucoup souffert en silence suite aux divers incidents qui se sont produits, au point que j'ai même fini par "normaliser" ces comportements inappropriés, voire m'y attendre! Même si le titre de cette publication utilise volontairement le mot "femme", je suis très consciente que ce n'est pas un comportement qui se veut exclusif envers les femmes...au contraire! C'est mon histoire à titre de femme professionnelle qui se raconte, mais je suis persuadée que tout être humain, qu'importe le genre auquel il s'identifie, pourra se sentir concerné. D'ailleurs, j'en ai eu la preuve aujourd'hui en discutant avec un professionnel masculin oeuvrant dans le domaine de la santé qui est aussi fréquemment exposé à ce type de comportement.
Briser le silence
Si je brise ce silence aujourd'hui, c'est pour plusieurs raisons. Tout d'abord, c'est afin de voir si d'autres se reconnaîtront dans ces divers scénarios et peut-être qu'en entendant les histoires vécues des autres, ça aidera à briser mon sentiment d'isolement. J'en parle aussi, car j'ai plus que mon quota de recevoir des avances non-voulues en personne ou en virtuel et qui ne sont pas les bienvenues. Enfin, j'écris tout ceci dans le but de mettre en lumière ces expériences vécues afin d'entamer une sérieuse discussion en tant que société ici au Nouveau-Brunswick. Vous savez, depuis la lancée du mouvement #Moiaussi en 2017 qui a touché le monde entier, j'avais grand espoir que notre société Néo-Brunwickoise serait plus sensibilisée et qu'un vrai dialogue serait entamé sur la question des comportements inappropriés, surtout dans le cadre professionnel. J'ouvre une parenthèse pour partager que sur le plan personnel, j'ai certes tenté avec mon club Rotary Resurgo d'approfondir la discussion en organisant deux dialogues publics à l'intérieur de 6 mois sur la question dans la région de Moncton, dont un qui était centré sur la perspective de la victime et l'autre qui était centré sur les outils et ressources existants pour sensibiliser, prévenir et ou adresser les situations lorsqu'elles ont lieu dans le milieu professionnel. Malgré ces efforts, je vous avoue que je n'ai pas eu l'impression que cela avait créé un réel impact (ce n'est que mon ressenti personnel).
Avant de vous relater certaines expériences, je pense qu'il est important de vous préciser que je n'ai pas osé écrire sur le sujet avant parce que mes expériences de partage ont été assez décevantes. À vrai dire, je ne me suis pas sentie souvent écoutée et comprise lorsque je relatais certains incidents, même auprès de d'autres femmes professionnelles à qui je me suis confiée au fil des années. J'ai observé en fait qu'il se produisait le phénomène que je qualifie de l'empathie-silence, c'est-à-dire que ces personnes ont vécu des expériences très semblables, voire même pires, et comprennent ce que je vis, mais disent avoir mis ces incidents derrière elles, préférant passer à autre chose et ne pas en parler (donc la loi de l'Omertà continue). "À quoi bon?" répondaient-elles lorsque l'idée de la dénonciation leur était déposée. Il existe aussi le phénomène de l'incrédulité, comme si ça ne se pouvait pas que ces incidents se produisent dans une communauté comme Moncton ou encore le Nouveau-Brunswick. J'entends encore les "vraiment!? es-tu sûre? je n'ai jamais vécu cela" et ces exclamations sont suivies de regards pointus (que j'ai souvent interprété comme étant du reproche), qui n'ont fait qu'alimenter mon sentiment de culpabilité et d'isolement. Combien de fois me suis-je dite au fil des années: "c'est de ma faute, je suis trop gentille ou trop approchable" ou "c'est de ma faute, je l'ai induit en erreur" et ainsi de suite. En fait, l'enjeu est que c'est vraisemblablement encore tabou et que la façon dont on transige avec les gens adoptant des comportements inappropriés est encore de les reléguer sous le tapis. On montre la porte aux gens qui dépassent les limites, mais ça se fait relativement dans les coulisses et les prédateurs s'en sortent avec la tête assez haute merci, alors que les victimes sont laissées derrière anéanties et jugées coupables.
J'en ai personnellement ASSEZ que ça reste sous silence et que ça soit toléré, alors j'opte de partager certains faits avec vous pour voir si cela raisonne avec vous.
M'avez-vous appelé "chère"?
Commençons très légèrement: je constate que hommes et femmes, surtout s'ils sont plus âgés que moi, aiment bien m'appeler "chère" ou en anglais "dear". Cela arrive plus souvent dans le cadre professionnel que vous puissiez imaginer. J'ai longtemps normalisé ce terme d'affection dans le cadre professionnel, me justifiant que c'était un régionalisme et que ça devait être la norme à une certaine période de s'interpeller de la sorte et qu'il n'y avait aucune méchanceté derrière le terme. Or, ça été utilisé dans mon entourage professionnel il n'y a pas si longtemps que cela par une personne d'expérience considérable. En fait, le terme semble être parfois être utilisé de façon péjorative: "let me tell you dear" ou "hey chère, tu ne sais pas..." C'est comme si, pour me faire valoir leurs points de vue, il est important d'employer ce terme pour assumer une certaine autorité ou position de pouvoir dès le départ. Et dans ces instances, la suite du contenu qui m'était relayé contribuait à alimenter cette impression, puisqu'on me traitait comme si je ne savais pas de quoi je parlais ou encore comme si ce n'était pas possible que je comprenne, alors que je n'avais même pas encore eu l'occasion de faire valoir mes observations sur le sujet. La personne a donc déterminé d'emblée que j'étais bien en-dessous d'eux et d'en rajouter avec le fameux terme "chère" . On est en 2019 mesdames et messieurs: peut-on arrêter de s'interpeller de la sorte dans le cadre professionnel? En cas d'hésitation, je vous donne cette ligne de conduite, qui est à mon avis assez certaine: "Si tu n'es pas mon mari, ma mère ou mon père, tu ne devrais pas m'appeler chère". Si vous incluez d'autres membres de votre famille dans cette ligne de conduite, ça vous regarde, mais ma préférence est que ça s'en tienne aux trois personnes que j'ai mentionnées.
Viens-tu sérieusement de me faire des avances sur LinkedIn?
Ce réseau social qui est axé sur les connexions professionnelles semble malheureusement être devenu le nouveau réseau de rencontres à la "Tinder". Ma règle de base pour accepter des nouvelles connaissances dans mon réseau professionnel est d'identifier si nous avons multiples connaissances en commun et de regarder attentivement le profil de la personne, suivi d'une petite recherche sur le web en allant consulter le site web de l'entreprise. Une fois que j'accepte l'invitation, je réponds aux demandes professionnelles, les dirigeant à mon courriel professionnel. Or, j'ai remarqué au cours des dernières années que les demandes, masquées comme étant "professionnelles" tournent rapidement à des avances indécentes. Il y a des gens qui m'ont écrit pour me déclarer leur amour (ils ne me connaissent même pas!) ou qui me trouvent de leur goût et commentent sur mon physique (encore plus inapproprié). D'autres sont même allés jusqu'à me faire des invitations assez indécentes.... Je peux vous dire que je m'empresse de bloquer ces gens et d'alerter les gens concernés chez Linkedin afin qu'ils soient au courant que ces gens nuisent à la crédibilité du réseau en ayant des comportements de la sorte. J'ose croire que je suis loin d'être la seule qui se fait faire des avances sur Linkedin, mais ça ne semble pas être un sujet de conversation acceptable, donc, on en parle pas. Entre-temps, je continue de purger ces gens de mon réseau, cumulant une grande frustration face à la situation, car je ne vois pas de conséquences à ces comportements.
As-tu osé me toucher? et en public???
Celui-là vient m'affecter le plus, car ça arrive malheureusement trop souvent. Juste dans le dernier mois, j'ai vécu au moins à deux reprises des situations d'attouchements provenant d'hommes que je ne connaissais pas de prime abord. Dans le premier incident, la personne en question a mis sa main sur ma cuisse (note: je portais une robe) alors que nous étions assis l'un à côté de l'autre. Je ne me suis pas aperçue sur le coup que cela s'était produit. Ce fut une amie et une collègue qui m'ont relayé l'incident par la suite et qui avaient été très surprises par le geste. Je reviendrai sur ce point pour vous exprimer les émotions ressenties face à cette situation. Lors du deuxième incident, qui s'est produit lors d'un événement public avec des centaines de personnes présentes, l'homme en question s'est approché de moi, entrant dans ma bulle, et a commencé par me "toucher" (disons plutot flatter) le dos pour ensuite mettre son bras autour de ma taille, tout en disant à voix haute "c'est vrai qu'elle est belle. Tu es de mon goût en plus!". Je me reculais pour signaler mon inconfort, mais c'est quand il a eu l'audace de me dire "Ces jours-ci, avec le #Metoo, faut faire attention maintenant à ce qu'on dit et fait", que je me suis empressée de saisir l'occasion pour lui répondre: "oui, et je suis sur le point de te fourrer une claque dans la face". Il a reculé et a gardé un peu plus ses distances mais en fait, la réaction de la tierce personne présente dans la situation m'a déçue: il n'a rien dit tout au long de cet échange, se contentant de rire et d'exclamer sa surprise suite à mon commentaire. Cet incident m'a fait sentir comme si c'était moi la coupable pour m'être exprimée de la sorte (de façon assez crue, d'accord, mais je pense que c'était quand même mérité) et comme si c'était moi qui avait eu le comportement inapproprié! Voilà un élément qui me dérange énormément dans ces situations: le silence des gens, qui pourraient pourtant ne pas encourager ce genre de comportement en disant tout haut et tout fort de ne pas se comporter de la sorte lorsque cela se produit, plutôt que de demeurer silencieux ou pire, en rire. Peut-être que certains rient jaune, car ils ne savent pas comment adresser la situation, mais croyez-moi, quand on le vit et en public en plus, ça n'aide aucunement! En fait, ce silence et ces rires contribuent à normaliser ces comportements, qui ne sont pourtant pas acceptables du tout. Ça m'a pris près de 24 heures pour réaliser à quel point cet incident m'avait dérangé. En relayant le tout à mon mari à mon retour à la maison, j'ai été surprise de constater que les larmes accompagnaient mon récit. Ces larmes en fait, étaient révélatrices d'une blessure profonde qui s'ouvre à chaque fois un peu plus. Ce n'est pas toujours évident de pouvoir exprimer son malaise face à des comportements de la sorte dans des événements publics. On tente de garder sa contenance, mais l'incident lui se loge dans un compartiment de notre être et y reste jusqu'à ce qu'on y fasse face ou refait surface lorsque l'incident se reproduit.
L'impact
J'ai déjà parlé du "fight- flight- freeze" dans d'autres publications et j'ai partagé ouvertement que j'avais adopté pendant longtemps le comportement de "freeze" dans des situations me rendant très inconfortables. Les victimes d'harcèlement ou d'agressions de type sexuel adaptent malheureusement ce mécanisme de défense et les raisons de cela s'expliquent très bien sur le plan psychologique. La meilleure présentation que j'ai entendue sur la question d'ailleurs fut livrée par Angela Johnston, ancienne de 21inc de la Nouvelle-Écosse qui présente l'impact des crimes sexuels sur les victimes. J'ignore si elle fait encore des présentations sur le sujet, mais je joins ci-dessous le Centre pour lequel elle était la Coordonnatrice du projet de la violence sexuelle. Donc, revenons à nos moutons: il se peut que vous voyiez une personne vivant des attouchements inappropriés ou entendiez des choses indécentes, mais de votre point de vue, elle semble sourire, en possession de ses moyens, voire peut-être sembler aimer ce qui se passe. Il se peut que la situation se déroulant devant vos yeux soit tout le scénario contraire. La personne peut vivre à l'intérieur une grande détresse et être en mode panique totale, désirant s'enfuir à toutes jambes, mais son corps est immobilisé, car c'est comme cela qu'il a réagit lorsque la première agression ou l'harcèlement a eu lieu. Je vous encourage donc de ne pas assumer quoi que ce soit et de laisser votre jugement de côté, car vous ne connaissez pas toutes les histoires et les expériences d'une personne, même si vous pensez très bien les connaître.
Je vous ai raconté plus haut le fait que je n'avais pas de souvenir de l'incident de l'homme qui a posé sa main sur ma cuisse. En écoutant les propos de mes deux collègues et les interrogeant, j'ai commencé à y réfléchir, me replongeant dans le moment...et le déclic s'est produit: je me suis souvenue du geste, qui encore une fois avait eu lieu en public. Je l'avais bloqué de ma mémoire, car ne pas y penser m'aidait dans mon quotidien. Les experts sur la question pourront certainement vous expliquer mieux que moi les raisons qui expliquent ce blocage et comment les souvenirs remontent à la surface avec le temps et le soutien de son entourage, mais je sais que ça m'arrive. Certains d'entre vous penseront peut-être que de poser sa main sur la cuisse d'une autre personne est un geste anodin et que j'en fais tout un plat pour rien. Posez-vous la question toutefois si vous aimeriez que cela arrive à votre conjoint-conjointe et si vous l'accepteriez, tout simplement. Votre réaction à imaginer ou vivre le geste vous en dira long. L'important en fait n'est même pas tant votre réaction ou opinion sur la question, mais bien celle de la personne qui a vécu le geste ou l'incident. Si la personne s'est sentie inconfortable et très mal à l'aise, il faut le prendre au sérieux, tout simplement.
Et maintenant?
Je vous ai étoffé quelques exemples de comportements inappropriés, mais la triste vérité est que je ne fais qu'effleurer le tip de l'iceberg. Je pourrais vous relater tellement d'incidents que j'aurais sûrement matière à en parler pendant au moins une bonne heure sinon plus. Grâce au témoignage que m'a partagé le professionnel de la santé que j'ai brièvement mentionné dans mon introduction, j'ai reçu la confirmation que ça se produit malheureusement trop souvent. Paraît-il que hommes, comme femmes, pensent que des traitements reçues derrière des portes fermées leur donnent permission de faire des avances indécentes. Je n'ai pas de solutions à offrir dans ce blogue autre que d'ouvrir la discussion sur le sujet. Il est grand temps que ces comportements cessent d'être normalisés et que nous adoptons de nouveaux comportements. Que ce soit en croyant une victime quand un incident se produit et de ne pas les marginaliser davantage, ou encore en s'exprimant lorsque vous êtes témoins d'un comportement inapproprié, vous pouvez faire une plus grande différence au quotidien que vous ne le pensez. Enfin, en partageant vos expériences vécues, vous contribuez à atténuer les sentiments suivants (que peuvent avoir plein de gens qui ont vécu des expériences semblables aux miennes): l'isolement, la culpabilité, la honte, l'impuissance, la colère, l'incompréhension, et la tristesse. Merci à l'avance de contribuer à briser le silence et l'isolement.
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