Le mal invisible
- Nadine Duguay-Lemay
- 19 nov. 2022
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 mars
Je commence ce billet de blogue en partageant d'emblée que les 12 derniers mois ont été des mois de MARDE. (Notez bien que j'écris le mot dans son sens vulgaire pour illustrer mon point). Je n'irai pas dans les détails de tout ce qui a marqué cette dernière année, mais je désire cependant parler des 4 opérations et de la 5e qui s'en vient sous peu pour traiter ma névralgie occipitale. Je désire à nouveau parler de la névralgie comme telle, ce mal invisible qui ressemble dans le fond aux diverses formes de maladies chroniques ou de troubles de santé mentale que les gens ne comprennent pas bien à moins d'en souffrir eux-mêmes. Les gens atteints de maux invisibles ne recoivent pas la même empathie de leur entourage, car on ne peut pas voir la souffrance dans laquelle ils se trouvent quotidiennement, à l'instar par exemple d'une personne atteinte d'un cancer. J'écris ce texte aujourd'hui en espérant que plus de gens comprendront l'impact des maux invisibles sur les gens qui en sont atteints et de leurs comportements qui ne sont pas aidants.
Comprendre la névralgie occipitale et mon parcours :
J'ai écrit quelques billets de blogue sur la névralgie et les opérations subies pour la traiter, mais je partage à nouveau ce que c'est, avec l'aide du Dr. Henry (que je ne connais pas) qui semble bien la vulgariser: c'est un trouble dans lequel un problème au niveau du nerf occipital à l’arrière du crâne provoque des douleurs entre l’arrière de la tête et le cuir chevelu, ainsi que des douleurs, tingling, des engourdissements, des faiblesses et d’éventuelles lésions des nerfs et des muscles de la nuque. Je compare souvent ma condition (à tort ou à raison) à celle de fils électriques qui cessent de fonctionner ; un fil qui ne circule plus bien l'électricité finit par produire des flamèches et même un feu. Vous pouvez reprendre cette analogie pour la névralgie afin de mieux comprendre.
Je ressens donc de la douleur chronique d'une intensité souvent intolérable au même endroit dans le côté gauche de ma tête. Ces douleurs pour moi ressemblent souvent à des chocs électriques (vraiment pas plaisant) ou encore à des aiguilles qui piquent tout le temps au même endroit. Parfois, après des poussées de névralgie, qui veut dire que les douleurs se sont intensifiées et sont sans arrêt, je ressens des engourdissements à l'arrière de ma tête et je peux devenir complètement drainée. C'est comme si on m'avait frappé avec un bâton de baseball derrière la tête (imaginez la sensation que cela pourrait vous faire ressentir !). Parfois, ces poussées vont engendrer d'autres types de céphalées. Vous saisissez ? J'ai de la difficulté à me coiffer parfois, tant l'endroit où je ressens la douleur est sensible.
On apprend évidemment à trouver des moyens de gérer cette douleur et de tenter de fonctionner. Ce que je remarque est que la condition ne fait que se détériorer depuis qu'elle s'est installée en permanence dans ma vie il y a quelques années. Les impacts physiques (dans mon cas) incluent la fatigue, puisque notre sommeil peut venir à en être affecté, le manque d'énergie, et souffrir de d'autres types de céphalées qui sont engendrées à cause de la névralgie. Du côté psychologique, c'est pire: difficulté de concentration ou détresse complète quand on est en douleur, surtout si cela arrive en public, anxiété, paranoïa, dépression et j'en passe! On aimerait tant parfois que les gens comprennent sans qu'on ait à leur dire, car expliquer quand on est en douleur n'est vraiment pas idéal.
Je suis médicamentée depuis 5 ans environ et je suis maintenant selon mon neurologue sur la dernière combinaison possible de médicaments pouvant m'aider. Ces derniers aident quelque peu mais ne sont pas assez pour atténuer la douleur. Le meilleur traitement que j'ai expérimenté est la neuromodulation ou neurostimulation occipitale qui consiste à stimuler les nerfs par des impulsions électriques envoyées par une ou des électrodes implantées sous la peau. Les impulsions électriques sont générées par le neurostimulateur. Au lieu de ressentir de la douleur, on ressent des légers fourmillements. J'ai eu 3 neurostimulateurs en tout, dont le premier était expérimental. Le traitement fonctionne à merveille, tel que mentionné, mais je semble être LA candidate par excellence qui subit les complications possibles avec ce genre d'intervention. Je blague avec mon neurochirurgien qu'il faut bien avoir une personne dans le pays qui vient bousiller ses statistiques (en termes opératoires), mais plaisanterie à part (sinon les alternatives sont de pleurer et rager), le traitement fonctionne. Après ma 3e intervention en mars dernier, je pensais être partie pour la gloire. Malheureusement, 5 semaines plus tard, j'ai attrapé le virus de la COVID-19 et au 10e jour, ma cicatrice s'est infectée. Résultat, au 15e jour, le fil est sorti de ma tête (c'était plaisant commencer un nouveau défi professionnel avec cette réalité) et 3 jours plus tard, je devais subir la 4e intervention pour me faire enlever tout le système. Ça fait donc plus de 6 mois que je suis sans neurostimulateur, que je souffre, et je peux vous dire que je compte les jours jusqu'à ce que je puisse en recevoir un nouveau. Je croise les doigts que cette 5e intervention sera la bonne et la dernière pour un bon bout de temps.
Je pourrais m'attarder à vous parler du trauma vécu à me faire opérer comme cela, seule à chaque fois (règlementations vis-à-vis la COVID-19 dans les hôpitaux) et de la grande détresse que je ressens, sans parler de l'appréhension de me réessayer pour un autre neurostimulateur. Peut-être que j'en parlerai davantage un jour, mais j'aimerais consacrer la prochaine partie de cette publication aux comportements que je vous encourage d'adopter envers les gens qui souffrent comme moi de maux invisibles et ceux que je déconseille fortement.
Les comportements déconseillés :
Arrêtez svp les conseils gratuits: Je suis tellement ÉCOEURÉE de recevoir plein de conseils gratuits de gens qui ne sont PAS atteints de ma condition et qui n'ont pas été demandés. Tout d'abord, sachez que la plupart des gens qui souffrent de troubles invisibles se sont bien renseignés, ont appris mieux que quiconque à bien comprendre ce qu'ils vivent avec, et font probablement partie de communautés rassemblant les gens atteints de la même condition. C'est mon cas : je peux donc voir quotidiennement ce que personne X en France fait ou personne Y aux États-Unis et personne Z à l'autre bout du Canada essaient comme traitements. Je m'interroge sur les aliments qui aggravent la condition ou qui l'atténuent ; les moyens naturels que je peux entreprendre qui fonctionnent. Je consulte divers professionnels autant du côté de la médecine traditionnelle que la médecine naturelle. En gros, vous ne savez pas ce que la personne a tenté comme traitement et si elle ne vous a pas demandé votre opinion, ne la donnez pas, tout simplement. C'est comme si vous preniez un air de supériorité ou de jugement sans même comprendre la condition ou dénigriez tout ce que la personne a vécu et essayé. Vous désirez partager votre savoir? Pourquoi ne pas écrire un article de blogue, comme je le fais, à la place?
Arrêtez de comparer ou de minimiser : les gens interprètent souvent ma condition comme voulant dire que je souffre de migraines (sans vouloir offenser ceux qui souffrent de celles-ci, car tel que mentionné ci-haut, des poussées de névralgie engendrent souvent d'autres types de céphalées, dont des migraines). La localisation de la douleur et le type de douleur ne se comparent pas du tout. Je fais très bien la distinction entre le choc électrique causé par la névralgie, le mal de tête de tension et la migraine. C'est correct de poser des questions pour mieux comprendre la condition et c'est même encouragé, mais utilisez des questions ouvertes, genre: "Comment ressens-tu la douleur"? "Quel est l'impact dans ta vie"? au lieu de dire: "ah, c'est comme des migraines!".
Arrêtez de déverser vos problèmes sur cette personne : Si vous savez qu'une personne dans votre entourage est atteinte d'un mal invisible comme le mien, pouvez-vous svp arrêter de vous fier sur cette personne comme votre poteau émotionnel ? J'entends tellement souvent des gens dans mon entourage me dire: "je sais que tu ne vas pas bien, mais tu es la seule à qui je peux parler". La phrase que vous venez de dire démontre qu'au contraire, vous n'avez aucun respect sur la condition qu'elle vit. La personne vous le dira si elle est en mesure d'être disponible pour vous, mais ne l'assumez pas comme un fait accompli au quotidien.
Ne méprenez pas les élans de productivité comme quoi que que tout va bien: je me suis beaucoup entretenue avec des personnes atteintes de maladies chroniques diverses et l'une des méthodes d'adaptation commune est l'élan de productivité. À force d'être dans la douleur constante et de venir au point de ne plus pouvoir s'endurer soi-même, il est commun de se lancer dans des projets (personnel ou professionnel) demandant beaucoup dénergie. Pour moi, ça peut se faire en entreprenant un gros ménage, de la réorganisation, du jardinage ou cuisiner. Les gens nous regardent aller et peuvent penser que tout va mieux alors que ce n'est pas le cas. C'est une façon en quelque sorte de se prouver à soi-même qu'on a encore nos capacités et qu'on ne décoit pas notre entourage. C'est aussi une façon de rehausser notre estime de soi qui en prend un dur coup quotidiennement. L'erreur dans ce cas serait d'en demander plus ou de continuer dans cette lancée. Chaque personne est différente, mais je sais que je n'apprécie pas d'être reprochée d'avoir entrepris quelque chose pour lequel je n'avais pas les capacités de faire. Je vais le constater déjà assez vite par moi-même et je vais frapper un mur. Je suis persuadée que certains d'entre vous qui lisez ceci se disent, "mais arrêtes de te garrocher". C'est plus facile à dire qu'à faire et c'est un processus continue. Éventuellement, oui on devient plus sage et on reconnaît mieux et plus rapidement nos limItes. Personnellement, je pense qu'il faut nous laisser découvrir cela par nous-mêmes.
Les comportements conseillés :
Être là, tout simplement : le meilleur soutien que vous puissiez apporter est en assurant votre présence de façon constante (autant que possible). La personne vous dira ce dont elle a besoin et se sentira appuyée si vous ne posez pas de questions. Ma famille sait que lorsque je demande si quelqu'un veut aller prendre une marche, c'est parce que j'ai besoin de la marche ET que je prèfère ne pas être seule, car je suis en grande douleur. Ils savent que si je vais faire une sieste, c'est une autre méthode d'adaptation pour contrer la douleur. Si j'annule une rencontre ou un rendez-vous, c'est parce que je ne PEUX pas m'y rendre. Si je pleure de douleur ou de découragement, on me laisse pleurer et on m'apporte des mouchoirs ou on me donne un gros câlin.
Renseignez-vous sur la condition: allez vous aussi vous sensibiliser sur la condition de la personne, ses symptômes et ses impacts. Rejoignez une communauté d'appui ou consultez des professionnels de la santé, car vous aurez besoin vous aussi d'être bien entouré pour pouvoir soutenir la personne affectée. Plus vous comprendrez, plus vous serez un meilleur allié.
Accompagnez la personne à ses rendez-vous : Cet accompagnement vous permettra de poser des questions et de recevoir l'information en même temps que la personne atteinte de la condition. Cela facilitera grandement la communication entre vous ou dans la famille puisque vous partirez sur les mêmes bases. Parfois, on devient épuisés à répéter à notre entourage les mêmes informations, car il y a une attente qu'ils soient au même niveau que nous en termes d'informations reçues et compréhension de la condition.
Identifiez une échelle de douleur propre à votre famille : Je vous partage ce conseil qui m'a été donné par un thérapeute il y a quelques années. Chaque personne est très différente dans la façon dont elle ressent la douleur et sur quelle échelle. Une douleur peut être ressentie comme un 5 sur 10 pour une personne et cette même douleur sera ressentie comme un 10 sur 10 pour une autre. Étant une personne qui a un haut taux de tolérance pour la douleur, il est évident que si je qualifie une douleur comme un 10 sur 10, cela veut dire que c'était absolument atroce. J'ai dû expliqué cela à mon mari afin qu'il comprenne mieux cette échelle de douleur et de savoir ce qu'il peut m'offrir pour m'aider.
Continuez de traiter la personne comme si elle n'avait pas la condition: c'est-à-dire, demeurez alertes à la condition et au mal invisible en comprenant les signes que vous devez repérer quand ça ne va pas, mais continuez tout de même à proposer des sorties ou de complimenter la personne. Tel que mentionné à quelques reprises, l'estime de soi y prend un gros coup quand on combat une condition chronique invisible aux autres. Ça nous aide tellement toutefois lorsqu'on propose une petite sortie au restaurant ou qu'on nous rappelle pourquoi on nous apprécie. Ça nous aide à nous détacher de la maladie, de se rappeler que nous sommes PLUS que celle-ci, que nous avons encore des qualités et des compétences qui sont appréciées, même si nous n'avons plus le même degré de productivité.
Je conclus en relayant que mon espoir est que vous lisiez ce texte et que celui-ci vous fasse réfléchir au sujet des gens atteints de maladies chroniques dont on ne peut pas voir aussi clairement les symptômes et leurs impacts du côté physiologique et psychologique. Je comprends que c'est difficile d'avoir de l'empathie envers ces personnes ou encore que c'est facile de penser qu'elles exagèrent leurs conditions, puisque vous ne pouvez pas voir ce qui se passe à l'intérieur d'elles. Vous n'avez pas besoin de tout comprendre. Vous n'avez besoin que d'être là.

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