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La difficulté à s'exprimer : un mal de société ?

  • Photo du rédacteur: Nadine Duguay-Lemay
    Nadine Duguay-Lemay
  • 27 janv. 2019
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 30 mars

Avez-vous de la difficulté à exprimer vos émotions et vos pensées à votre entourage personnel ou professionnel ? Si vous répondez par l'affirmative, sachez que vous êtes loin d'être les seuls. Il y a longtemps que je me penche sur cette question, observant qu'en règle générale, les gens semblent éprouver beaucoup de difficulté à véhiculer à une autre personne ce qui les habite, tant sur le plan mental que le plan émotionnel. Je tiens à vous rassurer que je n'échappe pas à ce phénomène; malgré le fait que je travaille depuis quelques années à m'affirmer davantage, ça ne me vient pas naturellement. Ce qui motive mon texte cette semaine est le fait que ce soit si répandu... Est-ce un mal de société ?


Il serait facile d'argumenter que non; je remarque par exemple tous les efforts qui sont déployés pour sensibiliser les gens à la stigmatisation des problèmes de santé mentale ou les formations qui sont de plus en plus axées sur le savoir-être, particulièrement par rapport à la vulnérabilité. Nous sommes dans l'époque de la dénonciation avec les mouvements "Moi aussi" ainsi que "Et maintenant". Nous nous retrouvons aussi dans une période qui cherche plus de transparence, surtout de nos élus et de nos leaders, car nous cherchons à ancrer notre confiance. Saviez-vous d'ailleurs qu'en 2018, le monde était en quête de vérité alors qu'en 2019, nous sommes, paraît-il, en quête de confiance envers nos employeurs selon l'Edelman Trust Barometer, un rapport mondial émis annuellement et qui mesure le niveau de confiance dans le monde. Il existe donc des forces externes qui encouragent l'être humain à réfléchir et à travailler sur son savoir-être ; Néanmoins, ça semble être très difficile pour plusieurs d'entamer le processus. Je tourne donc mon regard vers mes expériences vécues pour illustrer les raisons qui ont contribué à ma difficulté à m'exprimer et à m'affirmer pendant si longtemps.


J'ai été élevé dans une famille qui n'encourageait pas l'expression de soi. En fait, je me suis sentie longtemps comme le mouton noir de ma famille, car j'étais celle qui tentait d'amener les autres membres de ma famille à exprimer à voix haute ce qu'ils disaient tout bas. Je me rappelle que mes parents nous rassemblaient parfois, mes frères et moi, pour discuter en famille et que chacune de ces discussions commençait avec une invitation lancée dans ma direction à ouvrir le bal et à exprimer comment je me sentais face à une situation X ou incident survenu. Étant la cadette et la seule fille, je trouvais que ces invitations à m'exprimer en premier créait une situation injuste, car je ne comprenais pas pourquoi les adultes ne commençaient pas la conversation ou encore mes frères, qui étaient plus âgés que moi. De plus, étant une personne intuitive et qui est très sensible aux vibrations et aux émotions des autres, je pouvais ressentir ce qui n'était pas exprimé, causant ainsi de grands malaises chez moi. Cette confusion intérieure, renforcée par les malaises ressentis, donnait comme résultat une jeune fille qui avait beaucoup de difficulté à exprimer ce qu'elle ressentait...en fait, dès que j'ouvrais la bouche, c'était des larmes qui déferlaient sur mon visage et ma voix tremblait ou s'élevait, causant davantage de frustrations. Ça ne m'aidait pas que mes frères ajoutaient une couche de difficulté avec des propos moqueurs à mon égard. Le comble était qu'ils n'exprimaient pas grand-chose, voulant aboutir à une conclusion rapide de toute l'affaire. Bref, je trouvais que ces discussions familiales étaient un réel fiasco et bientôt, elles ont éventuellement arrêté d'avoir lieu. Elles ont été remplacées par des secrets et des non-dits, que j'ai dû apprendre à naviguer et à déchiffrer.


La façon dont j'ai été élevée s'apparente beaucoup à la réalité de plusieurs personnes que j'ai sondées sur la question. Sachez que je ne tiens aucune rancune envers ma famille pour la façon dont ils ont composé avec leurs émotions et pensées à l'époque. Ce fut leur façon d'être et d'agir, car c'était comme cela pour mes parents et probablement pour leurs parents et grands-parents. Toutefois, ma difficulté d'expression a commencé là, au sein du milieu qui était le plus formateur de mon développement émotionnel.


Avançons à mes 16 et 19 ans. Je suis devenue passionnée du voyage et de la découverte d'autres cultures. Ces passions m'amènent à vivre au Costa Rica à 16 ans et à participer à l'échange Ontario-Inde avec Jeunesse Canada Monde (JCT) à 19 ans. Le fil conducteur dans ces deux expériences a été les expériences traumatisantes à caractère sexuel que j'ai vécues. C'est là que j'ai appris le fameux mode "freeze". Dans les deux situations, mon entourage immédiat a décidé de jeter le blâme sur moi, m'accusant de porter des vêtements révélateurs ou encore d'avoir eu encouragé mes prédateurs avec mes comportements "gentils". Je me souviens des propos de certains membres de mon groupe de JCT: "look at what you are wearing, look how you have encouraged him, no wonder this has happened to you!...". Dans les deux cas, les prédateurs étaient plus âgés que moi et n'étaient aucunement des hommes que j'aurais même considérés comme des fréquentations (juste pour mettre les choses en perspective). D'ailleurs, l'un des prédateurs était un parent dans une garderie pour laquelle je faisais du bénévolat dans le cadre du programme JCT. Il était marié, père d'un petit garçon de deux ans et deux fois mon âge. Cela ne l'a pas empêché de me harceler pendant une longue période pour aboutir à m'agresser dans un bar. D'avoir été jugée par mes pairs et surtout accusée, a causé beaucoup de dommage émotionnel. J'ai encore une fois appris par ces expériences à me taire.


Il y a eu d'autres facteurs contribuant à cette censure par la suite, mais vous voyez comment le tout a commencé. Le pire est que je suis passée à un mode auto pilote pendant de nombreuses années avec la pensée "suck it up, buttercup" alimentant la censure. Dans ma vie professionnelle, j'avais développé une carapace qui m'autorisait à exprimer ma pensée, mais pas mes émotions. Je peux vous dire que mon côté cartésien a été développé pas à peu près dans ce contexte, car c'était ce côté qui dominait. Je me suis protégée de la sorte pendant longtemps, mais comme le dirait mon thérapeute, toute stratégie de "coping" (soulagement) finit par ne plus fonctionner avec le temps. C'est comme mettre un pansement sur une plaie, mais ne pas traiter la plaie. Éventuellement, le pansement s'effrite aussi..


Il y eut plusieurs éléments qui ont contribué à mon cheminement et qui m'ont aidé à m'exprimer davantage; certaines expériences ont été percutantes, telles que ma participation au groupe d'études du Nunavut lors de la Conférence canadienne sur le leadership du Gouverneur-général en 2015 où j'ai appris à reconnecter avec moi-même, car c'était essentiel. Apprendre à connaître la réalité de nos amis des Premières Nations et notre histoire m'a secoué fortement, et lorsqu'on est secoué de la sorte, on ne peut faire que cheminer, à mon avis. Être en thérapie ainsi que de travailler sur mon savoir-être par des formations diverses, notamment lors d'un weekend avec mon amie Janna Hare (Spark Leadership), maintenant formatrice certifiée des enseignements de Brenée Brown, pour travailler sur ma vulnérabilité, ont aussi beaucoup aidé. Finalement, j'ai partagé un aperçu du travail que je fais avec ma coach professionnelle, Isabelle Lanthier dans mon dernier texte "Rencontre avec soi-même".


Tous ces outils, gens, et expériences ont grandement contribué à mon développement personnel, mais ce qui m'a le plus aidé dans ma quête de m'affirmer fut le principe "fake it until you make it" (faire semblant jusqu'à ...). Ce fut donc de le mettre en pratique. Je me suis donc "pratiquée" si on peut dire à m'affirmer et cela a commencé par dire "non" et à mettre des limites. Mon réflexe naturel était toujours de dire oui à tout et de ne pas être à l'écoute de ce que je voulais vraiment (pour ceux qui me connaissent bien, c'est un travail en évolution quand même!). Maintenant, avant de dire oui, je m'accorde une période de réflexion pour être à l'écoute de mes émotions et de mes pensées. Cette période de réflexion est importante et révélatrice, car même si parfois je finis par dire "oui" quand j'aurais peut-être préféré dire "non", je suis au moins consciente des raisons qui ont motivé le "oui" et je suis plus en paix avec ma décision au lieu de demeurer avec ma frustration. Une autre tactique qui a bien fonctionné pour moi est de me parler. J'entretiens un réel dialogue avec moi-même quand je me sens mal face à une situation ou un incident. Je me pose la question tout simplement "qu'est-ce qui te fait sentir comme cela en ce moment?" et la réponse me vient en général assez rapidement. En sachant ce qui me préoccupe, je suis en mesure par la suite de rassurer ou d'apaiser les peurs qui se sont manifestées. Enfin, je suis aussi guidée par le principe de prendre la responsabilité de mes actions, car c'est la seule chose que je peux contrôler. Souvent les gens se censurent, car ils ont peur de la réaction de l'autre et pourtant, c'est tellement en-dehors de notre contrôle! Parmi les scénarios qu'on peut envisager comme réactions, il y a rarement un de ceux-là qui devient réalité. En prenant des mesures concrètes que je contrôle, plutôt que de tomber dans l'évitement, je perds le sentiment d'impuissance qui aurait pu m'accompagner et je me sens mieux.


Je ne prétends pas que je détiens la vérité absolue par rapport à l'expression de soi et je n'ai aucune base factuelle pour déduire si c'est un mal de société ou non. Disons que j'ai été motivée cette semaine à écrire sur le sujet, car j'ai vu plusieurs exemples récemment qui m'ont fait réfléchir. Dans le fond, s'exprimer et s'affirmer a tout à voir avec se sentir mieux avec soi-même, ce qui rendra service à votre entourage. Quelles sont les pires conséquences qui vont arriver? Posez-vous la question, car comme je l'ai écrit plus tôt dans le texte, parmi les scénarios qu'on se monte dans notre tête, rares sont ceux qui se concrétisent. Vous pourriez être en fait agréablement surpris du résultat.



 
 
 

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