Insuffler le changement, une seconde à la fois
- Nadine Duguay-Lemay
- 5 nov. 2023
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 mars
Il y a quelques jours, j'ai eu le plaisir de m'entretenir avec mon ami Charles Gervais autour d'un café afin d'échanger sur ce qui était de nouveau dans nos vies. Étant tous les deux des personnes qui ont des valeurs axées sur l'humanité et la justice sociale et qui partagent la même vision du monde, nous abordons inévitablement des enjeux complexes sociétaux. Au cœur de notre discussion se trouvaient la gestion du changement et la pensée visionnaire. Selon Charles, le changement s'opère au compte-goutte, voire, une seconde à la fois. Cette perspective m'a beaucoup interpellée et m'a fait réfléchir ces derniers jours. Je dois même dire que cette façon de voir le changement m'a ré-énergisé et me réconcilie face à l'impuissance que je peux ressentir assez souvent ces jours-ci lorsque je regarde ce qui se passe dans ma communauté, ma province, mon pays et dans le monde. Avez-vous ce sentiment d'impuissance aussi ? Ce découragement, cette écœurantite, ce désengagement (volontaire ou involontaire) parce que ça devient parfois un peu trop lourd de suivre les multiples conflits dans le monde, les enjeux sociaux économiques et cela par-dessus tous les autres défis personnels et professionnels que nous devons gérer au quotidien? J'aimerais que l'on prenne un moment ensemble pour faire un retour en arrière afin de comprendre cet état d'être (possiblement collectif) avant de revenir au changement.
Commençons par reconnaître que nous avons vécu au cours des trois dernières années divers incidents qui ont bouleversé notre sentiment de sécurité, notre santé physique, mentale, émotionnelle et spirituelle, ainsi que notre bien-être, tant sur le plan individuel que collectif. Ces événements ont aussi certes testé, sinon effrité, la cohésion sociale de nos communautés (Institut National de santé publique du Québec, 2020). Il y a eu la pandémie de COVID-19, le meurtre de George Floyd (qui n'était pas la seule personne racialisée à perdre la vie face à la brutalité policière, mais on y reviendra un autre jour), les feux de forêt dans diverses régions du monde, les ouragans, les conflits armés, tels qu'entre la Russie et l'Ukraine et maintenant entre Israël et la Palestine, la montée de la haine et de la mésinformation, l'infodémie, et les tueries massives dans certaines communautés, pour n'en citer que quelques-uns. Parallèlement, nous observons des avancées technologiques, qui sont à la fois grandioses et prometteuses, mais aussi perturbatrices et inquiétantes (allô l'intelligence artificielle, les réseaux 5G, et les engins spatiaux qui font le tour de la terre). Nous observons des revirements dans toutes les sphères de notre société dont on ressent les résultats ou les effets à plusieurs paliers et pendant longtemps.
Je ne suis pas sociologue, mais je n'ai pas de difficulté à trouver plusieurs documents rédigés par des experts qui parlent de la pandémie de COVID-19 en termes de "traumatisme collectif" (American Psychological Association, 2023 et Loma Linda University Health, 2021) ou qui parlent des symptômes post-traumatiques observés (Sun, R., & Zhou, X. , 2023). Le fait demeure que les gens et plusieurs communautés, dont celles marginalisées et racialisées, n'ont pas vécu la pandémie ou ces autres incidents traumatiques de la même façon. Malgré la capacité inouïe que nous avons comme êtres humains à surmonter ces épreuves et ce genre de traumatisme collectif, il en reste que nous sommes peut-être un peu essoufflés. Ce fut beaucoup en peu de temps et la cadence de ces changements et événements perturbateurs ne semble pas vouloir ralentir de si près.
Pour en revenir au changement, j'avoue être comme l'ensemble des êtres humains, c'est-à-dire que je suis à la fois routinière et une adapte du changement. Cela veut dire que je rêve de changements, mais que je ne trouve pas toujours facile de changer mes comportements et mes attitudes pour voir ce changement se réaliser (ah, me concentrer sur mes études au lieu d'écrire ce texte par exemple). J'ajouterais que de subir les changements liés aux événements perturbateurs et le découragement ressenti lorsque je me suis heurtée à des systèmes ou encore lorsque je constatais que le travail avancerait à pas de tortue a créé un certain épuisement. Je ne vous cacherai pas que je me suis sentie dépassée et un peu perdue. Il y a une différence notable entre vivre un changement imposé et celui que l'on désire voir dans la société autour d'un projet rassembleur ou qui honore le principe de "par et pour" afin que les gens les plus concernés par le changement visé soient au cœur de la prise décisionnelle. Ce n'est pas facile de changer des systèmes qui sont bien ancrés dans des modèles désuets, inadéquats, inéquitables et qui sont gérés par des gens qui ne recyclent pas leurs connaissances ou leurs perspectives. C'est donc un travail de longue haleine (on est dans un marathon et non pas un sprint) et qui peut être très décourageant par moments. Voilà pourquoi les propos à Charles ont été tellement percutants, car j'avais oublié qu'il est possible d'insuffler ce changement en microbouchées (il a bien dit "une seconde à la fois") et tout un chacun à notre façon.
Depuis notre café, je me concentre sur les actions concrètes que je peux entreprendre au quotidien qui me font sentir bien et qui sont en lien avec mes valeurs. Aider une personne, être franche et transparente au quotidien, appuyer bénévolement ou financièrement les causes dans lesquelles je crois, transmettre mes connaissances à d'autres, etc. Je pense qu'il est important aussi de ne pas tomber dans le piège de penser que nous ne pouvons pas insuffler le changement à moins de faire partie d'un système important ou d'une machine. Certains projets que j'ai mis sur place ou co-construit avec l'appui des gens concernés, sont partis d'une vision (ça, c'est toujours important) et ont vu le jour sans trop grandes ressources au départ, tels que le réseau pour jeunes entrepreneurs et professionnels (MYPIE) et celui pour les femmes en affaires et professionnelles déployées dans la Miramichi (Women- Women of Miramichi Empowerement Network) en 2008-09 ou encore du club Rotary Resurgo qui est maintenant devenu un club passeport pour toute la région Atlantique. C'est donc possible de démarrer une idée à partir de pratiquement rien, sinon d'avoir une vision rassembleuse et qui répond à un besoin dans la communauté.
Le changement peut s'opérer très lentement, mais il s'opère éventuellement, puisque s'il y a bien une constance dans la vie, c'est que le changement va se faire. Parfois, on peut avoir l'impression de régresser, mais cela dépend du point de vue. Pour ceux qui ont vu ou qui voient un changement s'opérer qui allait ou va à l'encontre de leurs valeurs, ils voudront voir celui-ci être renversé. Nous sommes parfois choqués lorsque cela arrive, mais il y a toujours des signaux présents qui peuvent nous guider vers le futur. En innovation, ceux-ci sont nommés "signaux faibles" (weak signals) et sont souvent les premiers indicateurs d'un changement ou nouvelle tendance qui gagne beaucoup de traction. Cela a été le cas avec la venue de l'internet, les téléphones intelligents, et maintenant de l'intelligence artificielle. Le futuriste Mikko Dufva dit que "...ça peut prendre entre 5 à 10 ans avant qu'un signal faible devienne un véritable phénomène" (Räty, 2020). Prenez un changement récent et regardez l'histoire et vous verrez que les signaux faibles étaient présents tout au long. Il est donc très important de les noter et de les observer.
Je conclus ce texte avec le message que certains changements systémiques peuvent prendre du temps, parfois des décennies ou des générations, alors que d'autres surviennent et transforment tout en un clin d'œil, comme les meurtres collectifs, les crises sanitaires ou les changements climatiques. Qu'importe le type de changement que vous désirez voir à l'œuvre, je vous conseille d'adopter cette phrase venant de mon ami Charles afin de vous rappeler que vous y travaillez une seconde à la fois (je pense que ça peut aussi devenir une belle campagne marketing, mais c'est à suivre.). L'important, c'est que vous y croyez (au changement désiré) et que vous soyez dans l'action quelconque. Lorsque vous serez découragé par l'ampleur de la taille ou des obstacles rencontrés, revenez aux petits gestes que vous commettez et décortiquez le temps en secondes... vous constaterez tout ce que vous avez réalisé pour insuffler ce changement désiré en si peu de temps.
Bonne continuité et merci pour votre travail et vos efforts !

Bibliographie
American Psychological Association (2023). Stress in America™ 2023: A nation grappling with psychological impacts of collective trauma. The 2023 Stress in America™ survey. Site web APA
Institut National de santé publique du Québec (2020). COVID-19: La résilience et la cohésion sociale des communautés pour favoriser la santé mentale et le bien-être. Site web de l'Institut
Räty, P (2020). Weak signals bring messages from the future. Aalto University Magazine issue 27, Octobre 2020.
Ringer, J (2021). Understanding the long-term collective trauma from COVID-19 | News (llu.edu), Loma Linda University Health.
Sun, R., & Zhou, X. (2023). Differences in posttraumatic stress disorder networks between young adults and adolescents during the COVID-19 pandemic. Psychological Trauma: Theory, Research, Practice, and Policy, 15(Suppl 1), S29–S36.
Superbe texte! Ta seconde, c’est ton message qui infuse le changement chère Nadine! Bravo! 👏👏👏
Bravo Nadine pour ce texte inspirant pour lequel tu as tout le mérite. Merci de nous partager tes réflexions sur le leadership, l’engagement communautaire et les valeurs éthiques essentielles au développement d’une communauté responsable.