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Faire face à la honte

  • Photo du rédacteur: Nadine Duguay-Lemay
    Nadine Duguay-Lemay
  • 13 mars 2021
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 30 mars

Note de l'autrice: ce texte est écrit avec la permission de sa mère


Je remarque depuis quelques mois que plus on redouble d'efforts avec notre activisme ou notre organisation, plus on est dans l'oeil du public et donc susceptibles à des attaques personnelles diverses. C'est comme si on devient une proie plus facile et qu'il est tout à fait justifié de nous contacter n'importe quand et n'importe comment, y compris même à travers notre employeur. Toutes les choses qu'on a pu vous reprocher dans le passé, on saisit maintenant (des années plus tard) l'occasion de vous trouver et de vous les dire. Il est même permis semble-t-il de vous dire en privé sur les médias sociaux (même si on n'est pas des amis sur ces canaux) des bêtises très méchantes pendant que vous êtes en train d'animer une fonction.


J'essaie de composer avec ces situations et je vous avoue que ce n'est pas facile, car elle me font vivre beaucoup d'émotions, d'angoisse et de remises en questions. Je combats le syndrome de me battre, de m'enfuir ou de ne rien faire (le fameux flight-fight-freeze) , car on est dans l'état émotionnel et l'instinct humain est de chercher à se protéger. J'apprends à faire face à la honte, car comme tout le monde, j'ai un passé qui contient des passages dont je suis fière et d'autres où je le suis beaucoup moins. Ce passé toutefois fait partie de la personne que je suis aujourd'hui et je suis ainsi en processus de combattre tous mes instincts pour continuer à grandir dans cette tumulte que je traverse depuis quelques temps. Comme je suis loin d'être la première personne à qui cela arrive et que je ne serai non plus la dernière, j'ai opté pour vous partager ce texte afin de partager ces expériences et encourager d'autres personnes à développer leur résilience envers la honte, que vous soyez dans l'oeil du public ou non.


La honte pour les survivant.e.s de violence

Les survivantes et survivants de violence et d'abus connaissent très bien le feeling de la honte ainsi que de la culpabilité. Les prédateur(e)s sont des habiles manipulateurs qui savent comment ébranler la victime sur tous les plans: mental, émotionnel, physique, et financier. Ils retournent la honte envers les victimes dès le début alors qu'en fait, elle devrait les accompagner EUX et ELLES pour leurs actions immondes. Si vous êtes donc comme moi un.e survivant.e de violence à caractère sexuelle, mentale, et financière, la honte vous a accompagné et elle devient un élément déclencheur pour vous lors d'incidents ou de situations déplaisantes dans le futur. Si vous avez un parent qui a aussi été victime de violence (quelque soit la forme), vous avez aussi hérité de la honte de ceux-ci, même si ce n'était pas chose voulue de leur part. Est-ce donc étonnant que c'est une sensation qui nous fait paniquer et vouloir aller se cacher sous une roche (ou sous les couvertes du lit) pour ne plus en ressortir dès qu'on nous attaque ?


Ma mère a vécu de la violence conjugale (cruauté mentale, sexuelle, physique et financière) pendant plus de 15 ans avec mon père biologique. J'étais au courant, même si j'en ai pas de souvenirs, mais je n'ai appris que récemment que c'était bien pire. Des agressions sexuelles multiples en tant qu'enfant ont fait en sorte que ma mère a normalisé la violence pendant très longtemps et dès un jeune âge. Je n'avais jamais saisi cette honte qui semblait l'accompagner en permanence quand j'étais enfant, mais plusieurs souvenirs me viennent en mémoire. Comme par exemple le fait qu'elle était toujours très préoccupée par ce que mes amis pouvaient penser de notre maison lorsqu'ils venaient chez-nous. Elle comparait toujours leurs maisons à la nôtre et je ne comprenais pas le pourquoi. À force de me le faire demander, j'ai fini par ne plus vouloir avoir d'amis qui venaient chez-nous et j'ai commencé à moi-même avoir honte de notre maison (même si au départ, je n'avais pas honte ). Mon père biologique, qui était un alcoolique ainsi qu'un "bootlegger" bien connu fut aussi une source de honte pour moi. Encore une fois, je ne saisissais pas comme enfant que le profond malaise que je ressentais lorsque j'allais chez-eux et que je voyais des hommes qui buvaient et des bouteilles de bière partout était de la honte.


Le regard et le questionnement des autres s'est aussi fait ressentir très jeune et cela a contribué à me sentir différente et marginalisée et donc amplifier ma honte. Certaines des mamans de mes amies qui me questionnaient sur le fait que ma mère était divorcée (et remariée) à chaque fois que je mettais les pieds chez-elles. D'autres me disaient "tu es la fille à X toi hein ?" Et moi de répondre "oui, c'est mon père". Et la réaction non-verbale ou les sons qui suivaient en disaient long. Enfant, je ne comprenais pas tout mais je ressentais énormément le jugement et les vibrations que ces personnes émanaient. Ma façon de composer avec tout cela a été (heureusement) de me tourner vers les sports, les activités para-scolaires et l'engagement communautaire. J'ai choisi de devenir une sur-performeure pour compenser ce que je percevais comme des failles importantes.


Développer la résilience envers la honte

Vous êtes familiers avec la sensation que fournit la honte? On la ressent bien physiquement n'est-ce pas ? Certains la ressentent dans la gorge et même dans le visage comme si ces régions du corps étaient enflammées alors que d'autres la ressentiront dans le ventre ou décriront avoir l'impression que le sang se glace dans leurs veines. Pour ma part, je la ressens beaucoup dans le ventre et la poitrine et j'ai cette sensation du sang qui se glace dans mes veines ou que tout s'arrête. Parfois les gens me parlent et je ne les entends presque plus, telle est vive la sensation. Je prends la peine de vous décrire ces sensations physiques, car je pense qu'on n'y accorde pas assez d'importance ou on n'apprend pas à reconnaître la sensation de la honte dès un jeune âge et de l'affronter. En fait, plus souvent qu'autrement, on est appris à refouler et enfouir ces sensations et de ne pas parler de l'incident qui nous occasionné cette honte. Le SILENCE contribue ÉNORMÉMENT à amplifier cette honte et à la loger à l'intérieur de nous-mêmes, tel un parasite. J'ai appris en fait que le meilleur antidote pour contrer la honte est le partage (parler de la situation ou incident) et la compassion. Ce n'est pas facile à faire mais je peux vous assurer qu'après avoir mis cet antidote en pratique, je me rends compte que c'est vrai.


Récemment, ma coach m'a amené à faire un exercise très intéressant envers une affaire de mon passé que je vivais avec beaucoup d'émotions. Nous avons donné un nom neutre à l'incident et nous l'avons mis au centre d'un échiquier genre Tic-Tac-Toc. Autour de ce mot, elle m'invitait à penser à toutes sortes de réactions possibles à l'affaire passant de "je me pardonne" à "je me protège" à "je m'en fous" et ainsi de suite. Ensuite, j'ai été invitée à prendre posture de ce qu'aurait l'air cette réaction et de devenir un peu actrice et de la recréer. Je peux vous dire que la réaction "je m'en fous" a été très difficile à faire, car c'est loin d'être le cas. Nous avons abordé la réaction "je me pardonne" à la toute fin. C'est en fait là que se cache la partie douloureuse. Comme être humain, il n'y a pas pire justicier et juge que nous envers nous-mêmes. Comme c'était trop difficile à faire car j'entendais toutes les voix "j'aurais dû et j'aurais pu " telle une tempête dans ma tête, ma coach a invité la Nadine d'aujourd'hui à regarder la Nadine du passé (à ce moment) et de lui offrir sa compassion. Cela, j'ai été capable de le visualiser et de me voir prendre une marche avec cette Nadine du passé à mes côtés, sa tête sur mes épaules qui pleurait en silence et que j'entourais d'un bras autour de ses épaules. Nous avons marché ainsi pendant un bout de temps et j'ai l'impression que nous aurons besoin de quelques marches, car cette Nadine a besoin d'accompagnement et de se sentir aimée et acceptée. Je ne peux pas changer le passé, mais je peux changer ma perception de celui-ci et laisser aller le fardeau émotif qui y est rattaché.


En bref, je travaille en ce moment à développer ma résilience envers la honte. J'ouvre une parenthèse aussi pour vous dire que plus tôt cette semaine, j'ai entrepris un pas courageux pour devenir ambassadrice avec mon mari de la Course des femmes 2021 du Centre de ressources et de crises familiales Beauséjour et de dévoiler mon vécu personnel lors du lancement. Je ne peux pas vous décrire les pensées qui m'habitaient assise dans la salle pendant la cérémonie et à quel point j'ai failli perdre ma contenance lorsque j'étais au podium. Le lendemain, je me sentais "exposée" et "vulnérable", surtout lorsque j'ai vu les articles relayer le tout. Une partie de moi est fière d'avoir pris ce pas, car c'est pour toutes les victimes d'abus (dans toutes ses formes) que je le fais, mais ce serait me mentir à moi-même si je ne n'avouais pas que j'ai aussi eu une petite partie de regret qui m'a habitée. Comme quoi on peut faire des pas de l'avant, mais on en prend aussi de l'arrière pour en reprendre de l'avant. Je suis toutefois à un point dans ma vie où le silence me pue au nez et que je ne suis PU CAPABLE de rester dans le statut quo. Heureusement, c'est cette incapacité à accepter le silence qui fait en sorte que même si je suis très inconfortable et que je vis beaucoup d'émotions en ce moment, je vais tout de même continuer à avancer, à partager et à parler.



 
 
 

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