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Dénonciations sur Instagram: une réponse à un enjeu systémique

  • Photo du rédacteur: Nadine Duguay-Lemay
    Nadine Duguay-Lemay
  • 17 juil. 2020
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 30 mars

Comme plusieurs médias et bien des personnes, je suis avec grand intérêt la vague de dénonciations qui déferle sur les médias sociaux (Instagram surtout) à travers le pays, particulièrement au Québec et ici au Nouveau-Brunswick depuis plus d'une semaine. Évidemment, le sujet m'interpelle hautement en raison de mes expériences vécues et de mon activisme sur la question en posant des gestes concrets (dialogues publics, rédactions de billets de blogue sur le sujet, interactions avec survivant.e.s, etc.) pour faire changer les choses. Bien que je m'inquiète des aspects légal et moral de la démarche, j'applaudis et appuie l'initiative, car elle donne tribune aux survivant.e.s, chose que notre système judiciaire et social ne semble pas être en mesure de faire.


Déposer une plainte: complexe, et peu de résultats obtenus

Je vous rappelle les statistiques avancées par l'article publié sur Ici Acadie de Radio-Canada : "Moins de 10 % des plaintes à la police finissent devant la justice. Trois sur mille vont donner lieu à une accusation." Ces statistiques ne sont tout simplement pas acceptables en 2020, mais c'est la triste réalité. Il faut se mettre dans les souliers des survivant.e.s pour comprendre le trauma causé par la violence sexuelle, le phénomène de la re-victimisation et le manque d'appui de l'entourage. Comme le disait si bien Marie-Andrée Pelland, professeure en sociologie et criminologie à l’Université de Moncton, certains apprennent en lisant d'autres témoignages qu'elles ont AUSSI été victimes. Ce phénomène, je l'ai observé bien que trop souvent. L'entourage cherche à banaliser ces incidents, à défendre les gens qui ont posé ces gestes répréhensibles, sous prétexte qu'ils ou elles sont inoffensifs "la plupart du temps", que c'est à cause de la boisson ou du stress et qu'il faut leur pardonner, oublier et passer à autre chose. Ce qu'on oublie en agissant de la sorte, c'est qu'on permet à ces prédateurs-prédatrices de continuer à agir de la sorte et de façon encore plus audacieuse. J'ai trop vu de prédateurs s'en prendre à d'autres, car on dirait qu'ils se sentent intouchables. Le pire, la communauté continue à les embaucher, à leur demander de siéger sur des conseils d'administration et de les glorifier en quelque sorte, même si en coulisses, on va admettre avoir connaissance des gestes commis.


Je me souviendrai toujours d'une conversation tenue avec une personnalité connue dans le monde des affaires de la région au sujet d'une autre personne, qui je savais, avait agressé sexuellement une de mes connaissances proches (et qui avait porté plainte- fait important à souligner) et qui s'en était tiré plutôt bien. La personne change de carrière soudainement, l'organisme ne dit rien publiquement et des années plus tard, on apprend les faits : on demande à la personne ayant commis l'agression de quitter mais on lui permet de le faire sous guise de changement de carrière. Lorsque j'ai demandé à la personnalité connue le pourquoi de la chose, on me répond que c'est la meilleure façon de transiger avec des cas comme cela et me demande ce que moi j'aurais fait. Lorsque je réponds que j'aurais opté pour que l'organisme dénonce publiquement et de façon transparente ce qui s'était passé, j'ai été pratiquement ridiculisée. "Ça ne marche pas comme ça" on m'a répondu. Ah bon. J'ai compris que la façon dont ça marche, c'est de continuer à protéger ces individus. On n'impute aucune conséquence et on continue à faire circuler ces gens dans la communauté, tout comme l'église le faisait avec les prêtres. Quelques mois plus tard, cette même personnalité m'a conseillé de tout simplement pardonner l'agresseur. Que c'était la seule façon de passer à autre chose. Ah bon. Merci pour le conseil.


Aux yeux de la victime qui choisit de dénoncer auprès de son employeur et que rien n'est fait, elle se dit que ça n'en a pas valu la peine. À quoi bon? Elle a été re-victimisée et devient souvent même ostracisée par la communauté par la suite. Quand je lis de nombreux témoignages de victimes qui sont appuyés par d'autres qui admettent avoir témoigné des comportements répréhensibles et que des plaintes ont été déposées (mais sans conséquences), il y a matière à se poser de sérieuses questions sur la façon dont on traite les dénonciations dans le milieu organisationnel. En ce qui concerne la voie judiciaire, j'ai compris que ce n'est guère mieux de par mon vécu et selon les propos de Gina Colette, intervenante pour les victimes d'agressions sexuelles à Carrefour pour femmes : "Souvent, on constate que les policiers qui viennent à l'hôpital n'ont pas eu de formation assez complète pour violences sexuelles. Ça arrive souvent que ces survivantes-là sont re-victimisées par des questions ou des attitudes que vont leur manifester ceux-ci (les policiers)." Je n'ai pas compris pourquoi le service aux victimes du détachement de la GRC Codiac est seulement offert (aux victimes) lorsqu'elles déposent plainte et non avant. On les réfère à des organismes comme le Centre d'agression sexuelle du Sud-est, ce qui en principe fait du sens, à condition de pouvoir obtenir rendez-vous. Si telle est la ligne directrice, peut-on s.v.p. financer adéquatement nos organismes communautaires afin qu'ils puissent répondre à la demande?


Comme vous pouvez le constater, c'est un enjeu systémique. Je n'ai même pas abordé la question de formation, sensibilisation et de politiques (ou l'absence de celles-ci). La réalité est la suivante : en tant que société, on ne soutient pas nos victimes. Notre silence, notre banalisation, notre déni, nos comportements dans le quotidien et nos attitudes sur la question, font de nous des complices et par conséquent, on fait partie du problème et non de la solution. À chaque fois que j'ai tenté de soutenir une victime dans mon entourage, j'ai rencontré de la résistance et un système rempli de failles. Donc, si la dénonciation anonyme sur les réseaux sociaux devient la tribune dont se sert les victimes, c'est de notre faute à tous et à toutes.


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